La zone euro pourrait être menacée par une nouvelle crise de la dette souveraine

La dette de la zone euro commence à hanter les décideurs de la Banque centrale européenne et les dirigeants qui ont imprudemment augmenté les dépenses publiques.

En bref

                  • La zone euro se trouve dans une situation précaire en raison de l’imbrication des crises mondiales 
                  • La dette souveraine excessive met en danger certains pays et la monnaie commune.
                  • Les banquiers centraux espèrent qu’un « instrument anti-fragmentation » préservera le système.
euro sculpture in Frankfurt Photo by Hans Braxmeier on Pixabay
euro sculpture in Frankfurt Photo by Hans Braxmeier on Pixabay

Entre 2009 et 2012, la zone euro a connu une véritable crise de la dette souveraine qui a menacé de faire éclater l’union monétaire. 

À l’époque, les problèmes ont atteint leur paroxysme lorsque les prêteurs des marchés financiers européens ont perdu confiance dans la viabilité budgétaire de plusieurs États membres et ont commencé à exiger des primes de risque plus élevées. Confrontés à l’envolée des coûts d’emprunt, les États souverains concernés se sont rapidement retrouvés dans l’incapacité de rembourser les dettes qu’ils avaient accumulées pendant la grande récession de la fin des années 2000. Finalement, les plus grandes craintes des investisseurs ont failli devenir des prophéties auto-réalisatrices. Une spirale descendante a poussé la Grèce, le Portugal, l’Irlande et Chypre au bord de la sortie de l’euro. L’effet domino entre la périphérie et le centre de l’Europe a également mis en danger l’Espagne, l’Italie, la Belgique et la France. 

L’un des premiers responsables politiques à avoir compris le risque pour la monnaie commune elle-même a été Mario Draghi, alors président de la Banque centrale européenne (BCE). C’est lui qui, in extremis, avait mis fin à la débâcle en s’engageant, lors de son mémorable discours du 26 juillet 2012, à faire « tout ce qu’il faut » pour stabiliser les marchés des obligations souveraines. Trois mots qui ont sauvé l’euro, dit-on souvent.

Un scénario aussi effrayant pourrait-il se répéter aujourd’hui, maintenant que la zone euro s’est réveillée face à de nouvelles menaces mondiales majeures, allant de la stagflation post-pandémique à une guerre mondiale imminente ? 

Les banquiers centraux et les responsables politiques ont tendance à présenter une image rassurante de la situation actuelle de l’Europe en matière de risque souverain. Cependant, des défis importants restent à relever.

Euro en chute libre

Le surendettement

Tout d’abord, les finances publiques sont dans un état pire aujourd’hui qu’au plus fort de la précédente crise de la dette souveraine. Par exemple, le ratio dette publique/PIB de la Grèce, qui était de 127 % en 2009, a explosé pour atteindre 211 % en 2020. Après le passage de la pandémie, les proportions pour l’Espagne et l’Italie ont grimpé à 120 et 155 % respectivement. Les montants de la dette publique sont également impressionnants. En juin de cette année, la montagne de dettes de l’Italie a atteint 2,88 billions d’euros. À titre de comparaison, en 2009, la dette grecque de 300 milliards d’euros avait suffi à déclencher la panique chez les investisseurs en obligations souveraines.

Les tendances actuelles suggèrent que les besoins de financement des gouvernements pourraient même augmenter dans les mois ou les années à venir. La crise sanitaire, qui a laissé des traces durables sur les économies et les finances publiques, n’est pas terminée. Plus récemment, des risques géopolitiques longtemps sous-estimés ont refait surface aux frontières de l’Europe. L’invasion de l’Ukraine par la Russie a poussé l’Union européenne à prendre des décisions coûteuses en matière de sanctions, de défense, d’accueil des réfugiés et d’alternatives à l’énergie russe. Enfin, les grandes ambitions climatiques de l’Europe seront extrêmement coûteuses. 

Les écarts de rendement des obligations souveraines entre les États membres périphériques et les États membres centraux se sont dangereusement creusés.

Les prix de l’énergie, des denrées alimentaires et d’autres produits ayant tendance à augmenter sur tous les fronts, certains États membres pourraient avoir du mal à éviter une nouvelle récession au cours des prochains mois, à moins qu’ils ne réagissent en creusant leur déficit. Heureusement pour ces pays, les règles budgétaires de l’UE resteront en vigueur jusqu’en 2023 au moins. Pour certains pays, le fait qu’aucune limite d’emprunt n’ait été mise en place depuis plusieurs années est une incitation suffisante pour poursuivre sur la voie de dépenses publiques et d’un endettement toujours plus importants. 

Inflation : Causes et conséquences

Les forces centrifuges

Le deuxième défi concerne les coûts d’emprunt pour les gouvernements de la zone euro. Au début du printemps 2022, après des années de relative stabilité, les taux d’intérêt que les marchés exigent des gouvernements pour le remboursement de l’encours de la dette publique ont bondi à plusieurs reprises pour atteindre des sommets pluriannuels, avant de chuter tout aussi brutalement quelques jours plus tard. Il convient de noter que, pendant ces courts épisodes, les écarts de rendement des obligations souveraines entre les États membres périphériques et les États membres centraux se sont dangereusement creusés. L’écart entre les rendements des obligations italiennes et allemandes à 10 ans, souvent utilisé pour mesurer la peur/confiance des investisseurs, a atteint 2,52 points de pourcentage le 14 juin. 

Le 12 mars 2020, lors de l’apparition de la pandémie de coronavirus, un autre épisode de « fuite vers la sécurité » transfrontalière auto-réalisatrice a eu lieu, mais avec une amplitude beaucoup plus grande. Il s’est produit après que la présidente de la BCE, Christine Lagarde, eut déclaré sans ambages que son institution n’était pas là pour « fermer les spreads ».

Les turbulences sur les marchés financiers montrent clairement que ce que les économistes Ignazio Angeloni et Daniel Gros ont appelé « les forces centrifuges entre les pays centraux et les pays périphériques » peuvent s’enflammer à tout moment et mettre en danger la cohésion de l’union monétaire. Ce danger est dû à un défaut de conception fondamental de la zone euro qui n’a jamais été surmonté.

En mai 2022, les marchés ont fini par se calmer, mais les observateurs s’accordent à dire que les obligations souveraines du sud de l’Europe restent vulnérables aux ventes à la sauvette. D’autant que certaines nations, comme la Grèce, l’Italie et l’Espagne, restent fortement exposées au fameux risque de « doom-loop » des banques souveraines. Cette spirale négative, par laquelle un protagoniste peut entraîner l’autre, était au cœur de la précédente crise de la dette. À l’époque, deux scénarios interagissaient. D’un côté, les gouvernements surendettés poussaient dans le précipice les banques qui détenaient trop de leurs obligations. De l’autre, les banques en difficulté pouvaient faire tomber les gouvernements qui tentaient de les sauver. 

Aujourd’hui, le « biais domestique » des banques, c’est-à-dire leur propension à accumuler des obligations souveraines nationales, semble plus fort que jamais. De plus, comme M. Angeloni l’a souligné ailleurs, la « véritable condition » du système financier dans certains pays à risque pourrait bientôt être révélée. En effet, pendant la crise sanitaire, les vulnérabilités inhérentes au secteur bancaire ont été temporairement dissimulées sous une « couverture protectrice » que les moratoires sur la dette et les garanties publiques de Covid-19 ont fait peser sur les banques. « La charge sur les bilans bancaires sera plus importante dans les pays qui doivent faire face à des réformes plus exigeantes, en raison de leur retard structurel, et qui ont encore des problèmes bancaires non résolus », a écrit M. Angeloni. 

Comment éviter la répétition des boucles de rétroaction négative entre les banques et les finances publiques ? C’est bien là que réside l’une des principales difficultés de la zone euro aujourd’hui. Malgré dix ans d’efforts et d’interminables discussions entre l’UE et les États membres, l’Union bancaire tant attendue n’a toujours pas abouti. De même, malheureusement, la coopération avec et entre les autorités fiscales laisse beaucoup à désirer.

deadline - debt increase Photo by Gerd Altmann on Pixabay
deadline – debt increase Photo by Gerd Altmann on Pixabay

Augmentation du coût de la dette

Il y a environ un an, un autre défi est apparu à l’horizon : l’inflation. D’une part, une inflation persistante profite aux gouvernements, car elle érode leur dette au fil du temps. D’autre part, elle incite les prêteurs à exiger des primes de risque plus élevées de la part des pays très endettés. Pour cette seule raison, les coûts d’emprunt de ces nations vont maintenant augmenter inexorablement. 

Ces hausses de taux rendront les emprunts plus coûteux. Combinées à une baisse de la croissance, elles pourraient avoir un impact négatif sur la viabilité de la dette souveraine.

La situation pourrait rapidement devenir délicate, car la BCE a récemment annoncé qu’elle allait resserrer sa politique monétaire pour contenir l’inflation. En mai 2022, l’inflation dans la zone euro a atteint 8,1 %, soit quatre fois plus que l’objectif de 2 % de la BCE. Même les membres les plus pessimistes du conseil des gouverneurs de la BCE appellent actuellement à l’action.

Dans une déclaration du 20 juin 2022, le président de la BCE, M. Lagarde, a confirmé que l’on peut s’attendre à une première hausse des taux d’intérêt à court terme en juillet. Une ou deux autres hausses de 25 points de base chacune pourraient suivre plus tard dans l’année. Le taux de facilité de dépôt de la BCE est négatif depuis 2014 et s’établit actuellement à -0,5 %. La plupart des analystes de marché prévoient qu’il pourrait atteindre +0,25 pour cent d’ici 2023. Pour Robert Holzmann, l’un des faucons du Conseil des gouverneurs, cela devrait se produire dès cette année. Bien sûr, ces hausses de taux vont rendre les emprunts plus coûteux. Combinées à une baisse de la croissance, elles pourraient avoir un impact négatif sur la viabilité de la dette souveraine. 

En outre, la BCE va réduire considérablement ses achats d’obligations tout au long de 2022, du moins par rapport à 2020 et 2021. Comme prévu, les achats nets effectués dans le cadre de son programme d’achat d’urgence en cas de pandémie (PEPP) de 1 850 milliards d’euros ont pris fin en mars 2022. À l’issue d’une réunion tenue début juin, le Conseil des gouverneurs a annoncé, à la surprise générale, que les achats nets effectués dans le cadre du programme d’achat d’actifs (APP) prendraient également fin le 1er juillet 2022. La perspective qu’il pourrait bientôt y avoir moins de soutien monétaire aux pays d’Europe du Sud endettés pourrait également contribuer à raviver l’angoisse des investisseurs. 

En substance, une réduction des achats nets signifie que la BCE cessera d’acheter toutes les nouvelles dettes émises par les gouvernements de la zone euro. Selon un analyste consulté par le Financial Times, la banque centrale en achètera moins de 40 % cette année, contre plus de 120 % au plus fort de la pandémie. Un autre commentateur, ancien directeur adjoint du FMI et stratège économique du secteur privé, s’est demandé ce qui se passerait si la BCE cessait d’être un acheteur important d’obligations d’État italiennes. Qui allait aider le pays à lever les centaines de milliards d’euros supplémentaires dont il aura besoin l’année prochaine pour couvrir ses besoins d’emprunt bruts, voulait savoir le commentateur.  

Ce qui semble inquiéter le plus les observateurs, ce sont les prochaines élections générales italiennes, qui doivent avoir lieu avant l’été 2023. Beaucoup craignent que si le Premier ministre italien Mario Draghi devait quitter le gouvernement, le pays pourrait replonger dans son passé politiquement chaotique. Depuis le 13 février 2021, date à laquelle l’ancien chef de la BCE, âgé de 74 ans, a pris les rênes du pays, l’Italie connaît une période de stabilité inédite depuis longtemps, malgré ses problèmes profondément enracinés. Avec M. Draghi à la barre, les investisseurs semblent avoir amélioré, au moins temporairement, leur perception de la solvabilité du gouvernement. Avec son départ, leur confiance pourrait s’évanouir à nouveau.

debt Photo by Rilsonav on Pixabay
debt Photo by Rilsonav on Pixabay

Une voie étroite

Au cours des prochains mois, la BCE devra naviguer sur une voie étroite entre la poursuite du soutien aux marchés obligataires (par l’assouplissement quantitatif) et le retrait progressif de l’accommodation monétaire pour lutter contre l’inflation (par le resserrement quantitatif). Quelle que soit la manière dont ce dilemme sera résolu, l’avenir sera difficile pour la banque centrale. 

L’époque où trois simples mots prononcés par le président de la BCE suffisaient à stabiliser des marchés en pleine tourmente est révolue. Selon M. Angeloni, membre du conseil de surveillance de la BCE sous l’ère Draghi, la déclaration « whatever-it-takes » de M. Draghi était une réponse d’urgence appliquée à des conditions très particulières. Aujourd’hui, il ne suffit pas de la répéter sans cesse. 

Pendant des années, les dirigeants de la BCE ont fréquemment utilisé la célèbre phrase comme un gage ou une promesse rassurante en période de perturbation des marchés. Mais pour avoir un quelconque effet, elle devait être soutenue par des plans de relance toujours plus importants afin de garantir que le crédit dans la zone euro reste bon marché. En d’autres termes, il fallait en faire toujours plus pour en faire toujours moins. Un an avant que la pandémie ne frappe et bien avant que quiconque ne pense à un retour de l’inflation, le secrétaire général de l’OCDE, Angel Gurria, a averti que les banques centrales « n’avaient plus de munitions ».

« Flexibilité » est devenu le mot magique, permettant à la BCE de continuer à plafonner les spreads sur des souverains de la zone euro bien choisis.

Néanmoins, selon un fournisseur mondial de données financières, la gestion des actifs du bilan colossal de la BCE et, plus particulièrement, les réinvestissements des obligations d’État à long terme achetées dans le cadre des programmes APP et PEPP, sont des options importantes qui restent. Elles aideront toujours la banque centrale à maintenir les spreads obligataires aussi bas que possible sur une longue période. 

Contrairement aux réinvestissements dans le cadre de l’APP, la BCE n’est pas liée par les clés de répartition du capital (c’est-à-dire les principes de neutralité du marché) lorsqu’elle réinvestit le produit du PEPP. Lors d’une conférence de presse le 16 décembre 2021, Mme Lagarde a laissé entendre que  » dans des conditions de stress « , son institution peut décider librement quand, où et comment les réinvestir.  » Flexibilité  » est devenu le mot magique, permettant à la BCE de continuer à plafonner les spreads sur des souverains de la zone euro bien choisis. 

Quo vadis, Europe?

Besoin d’une arme miraculeuse 

Ces derniers mois, on a de plus en plus parlé d’un nouvel instrument politique mystérieux qui pourrait être adopté si les écarts de rendement recommençaient à se creuser après les premières hausses de taux de la BCE. L’objectif serait de soutenir activement les gouvernements criblés de dettes lorsqu’ils sont confrontés à une forte augmentation des coûts d’emprunt en raison du resserrement de la politique monétaire. 

Là encore, on peut se demander s’il ne s’agirait pas d’un contrôle de la courbe des taux à l’européenne qui ne dit pas son nom. La pratique du contrôle de la courbe des taux est interdite par les traités de l’UE, car elle revient à une forme cachée de financement du déficit ou de monétisation de la dette. En fin de compte, cela conduit à la complaisance des banques centrales et à la domination budgétaire.

Pour l’instant, l’adoption d’un tel nouvel outil n’a pas été confirmée officiellement. Néanmoins, la présidente Lagarde a indiqué dans sa déclaration de juin qu’une proposition d' »instrument anti-fragmentation » pourrait bientôt être soumise à l’examen du Conseil des gouverneurs. Le simple fait qu’elle soit en cours de discussion devrait être une preuve suffisante qu’il existe toujours un risque systémique lié à la dette souveraine en Europe aujourd’hui.  

Auteur: Elisabeth Krecké is a former professor of economics.

Source:

The euro area could be at risk of a new sovereign debt crisis

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