Les responsables politiques gèrent mal l’inflation dans la zone euro

Les fonctionnaires de la BCE et les responsables de la politique gouvernementale dans la zone euro tâtonnent dans l’obscurité pour trouver une politique efficace en matière d’inflation des prix.

En bref

                          • Les banques centrales ne savent plus comment réagir à une inflation croissante
                          • La politique d’inflation actuelle sert les gouvernements, et non l’économie et la société.
                          • Le problème de l’inflation des prix se situe du côté de l’offre, et non de la demande excessive.
euro sculpture in Frankfurt Photo by Hans Braxmeier on Pixabay
euro sculpture in Frankfurt Photo by Hans Braxmeier on Pixabay

Les banquiers centraux et les responsables politiques chargés de la politique d’inflation sont désemparés : leurs modèles de prévision les ont lâchés et ils naviguent en eaux prétendument inconnues. Bien que l’on ait beaucoup insisté sur les vertus de la « forward guidance » (annoncer les mesures de politique monétaire à l’avance afin que les opérateurs puissent s’adapter à temps), cette expression signifie désormais que la politique monétaire est erratique et dictée par les derniers chiffres disponibles. La zone euro ne fait pas exception.

Si le tâtonnement semble souvent être le nom du jeu favori des banquiers centraux, deux convictions bien ancrées demeurent.

Elles se contredisent

Tout d’abord, selon les idées reçues, pour lutter contre l’inflation, il faut refroidir la demande globale, ce qui implique des taux d’intérêt plus élevés. Toutefois, ce raisonnement alimente les craintes en matière de croissance, car beaucoup pensent qu’une baisse de la demande globale entraîne une baisse du produit intérieur brut (PIB). Cela explique les ambiguïtés actuelles : tantôt on nous dit que la lutte contre l’inflation ne freinera pas la croissance, tantôt on affirme que l’inflation est prioritaire et que la récession pourrait être une possibilité malheureuse. L’équilibre entre les deux positions dépend des dernières nouvelles.

La deuxième conviction concerne la spirale salaires-prix qui s’autoalimente et qui rend apparemment la maîtrise de l’inflation si difficile. En termes simples, on affirme que la hausse des prix incite les travailleurs à demander des salaires plus élevés, que les salaires plus élevés augmentent les coûts de production, et que ces coûts plus élevés génèrent une hausse des prix. Dans ce cadre, l’inflation ne s’arrêterait donc jamais.

La bonne nouvelle est que ces deux croyances sont erronées. Et la mauvaise nouvelle est qu’en s’en tenant à ces récits – le rôle crucial de la demande globale et la spirale coûts-prix – les décideurs politiques ne font qu’empirer les choses. Dans cette optique, la partie restante de ce rapport poursuit trois objectifs : elle rappelle quelques notions d’économie de base, décrit pourquoi les politiques actuelles sont néfastes et esquisse ce à quoi nous pouvons nous attendre à l’avenir.

Le côté de la demande

La plupart des auteurs du XVIIIe siècle ont souligné que l’absence de demande n’est jamais un problème. La nature humaine est telle que nous voulons toujours consommer des biens plus nombreux et de meilleure qualité. En effet, l’économie ne porte pas sur la rareté de la demande, mais sur la rareté de l’offre. Nous ne sommes pas mieux lotis lorsque nos désirs augmentent, mais lorsque nous pouvons acheter davantage : c’est ce qui se produit lorsque l’innovation, le progrès technologique et les compétences entrepreneuriales affaiblissent la contrainte de rareté. En conséquence, une plus grande productivité génère plus de pouvoir d’achat. Voilà qui résume l’histoire de la croissance économique au cours des deux derniers siècles. Cela explique également pourquoi les efforts visant à stimuler la demande globale sont inutiles.

Il est essentiel de savoir que la spirale n’est pas la racine du problème mais plutôt la conséquence de la rareté de l’offre et des promesses monétaires.

Bien sûr, il arrive que les producteurs se trompent, fabriquent des biens non désirés et ne parviennent pas à livrer des biens très demandés. Dans ces cas, et en l’absence d’intervention gouvernementale, la production déficitaire est abandonnée et les ressources sont réorientées vers des secteurs rentables. C’est l’essence même d’un environnement de marché libre.

En particulier, il n’est pas nécessaire d’encourager les consommateurs à acheter ce qu’ils n’aiment pas ou d’empêcher les entreprises de réorienter leurs capacités de production. Au contraire, si les responsables politiques pensaient que l’argent que les consommateurs et les investisseurs dépensent est une illusion et ne représente aucun pouvoir d’achat réel, ils feraient mieux de se pencher sur l’origine de ce pouvoir d’achat illusoire, et non de s’inquiéter des préférences des gens.

 

Euro gear

La spirale coût-prix

Des commentaires similaires s’appliquent à la spirale coût-prix. L’inflation signifie qu’il y a trop d’argent pour trop peu de biens. Bien sûr, certaines personnes sont déçues parce qu’elles peuvent acheter moins que prévu. En particulier, soit les gens pensaient pouvoir acheter plus et se sentent frustrés, soit leurs attentes étaient plus ou moins stables, mais ils découvrent que la quantité de biens disponibles a diminué. Cela se produit, par exemple, lorsque des ressources sont employées dans des projets de moindre valeur (malinvestissements), que la productivité chute, ou que des dettes doivent être remboursées et qu’une partie de la production va aux créanciers.

Dans tous ces cas, les gens se battent pour préserver leur pouvoir d’achat au détriment de quelqu’un d’autre. Des tensions peuvent apparaître. Pourtant, il est essentiel de savoir que la spirale n’est pas la racine du problème, mais plutôt la conséquence de la rareté de l’offre et des promesses monétaires.

Des chemins qui ne mènent nulle part

Lorsque les banquiers centraux manipulent la demande globale, ils poursuivent quatre stratégies suite aux pressions politiques et à la démagogie. Ils peuvent choisir de faire l’une des quatre choses suivantes :

Modifier la composition de la demande, ce qui peut être accompli en modifiant la structure des prix par le biais de taxes et de subventions.Détruire le pouvoir d’achat illusoire (excès d’argent) à l’origine de la « demande excessive ».Créer un nouveau pouvoir d’achat illusoire dans l’espoir que les producteurs réagissent en augmentant l’offre.Réorienter les ressources vers des entreprises déficitaires dans le but de créer, comme ils l’affirment, des emplois et de la « valeur ajoutée ».

Malheureusement, toutes ces mesures ont été prises au cours des dernières années. Les résultats sont évidents : des politiques de demande globale incohérentes qui partagent une caractéristique commune, à savoir l’improvisation dans l’espoir que l’impression monétaire et les taux d’intérêt négatifs couvrent d’une manière ou d’une autre les erreurs générées par l’ignorance et les promesses de repas gratuits à l’infini. Les conséquences perverses ont suivi.

L’offre, stupide

De même, la spirale coûts-prix est effectivement problématique, mais pas parce que la hausse des salaires maintient les prix sous pression. Le problème est plutôt que de nombreuses entreprises font faillite si la hausse des salaires finit par comprimer les bénéfices. Si de nouvelles entreprises plus efficaces ne se manifestent pas, la production baisse, les prix augmentent et des tensions apparaissent. Bien sûr, dans ce cas, le problème n’est pas « la faiblesse de la demande » mais « la faiblesse de l’offre ».

L’héritage du passé continuera à faire grimper les prix et tentera les politiciens de venir à la rescousse en subventionnant les entreprises ou les travailleurs.

Naturellement, ce n’est pas le genre de discours que les décideurs politiques et les banquiers centraux de Bruxelles et de Francfort aiment entendre. Cela peut expliquer pourquoi ils continueront probablement à adopter une approche attentiste et pourquoi leur plan d’action – ou l’absence de plan d’action – pourrait ne pas réussir à maîtriser l’inflation.

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Les presses continuent de tourner

Bien que le taux de croissance de la masse monétaire dans la zone euro ait récemment ralenti, la « planche à billets » n’a pas cessé. Par exemple, la masse monétaire M2 a augmenté pour atteindre environ 15,1 trillions d’euros en juillet 2022, contre 14,9 trillions d’euros en mai 2022.

Ainsi, l’héritage du passé continuera à faire grimper les prix et à tenter les politiciens de venir à la rescousse en subventionnant les entreprises ou les travailleurs, qui s’abstiendraient alors de demander des augmentations de salaire substantielles. Les déficits budgétaires signifient une augmentation de la dette publique et une intervention continue de la BCE, qui souhaite éviter une crise des finances publiques et qui est prête à financer certains emprunteurs par une nouvelle impression monétaire.

Scénarios

Réglementation socialiste, nationalisation

Les politiciens de la zone euro peuvent tenter de freiner la hausse des prix en introduisant des plafonds de prix ou d’autres formes de réglementation (par exemple, le rationnement, une législation populiste sur le marché du travail). Toutefois, ces mesures inciteront les entreprises à fermer leurs portes ou à délocaliser, et le PIB en pâtira. Si les autorités nationales réagissent en s’engageant dans des programmes de nationalisation (prétendument pour sauver des emplois), le PIB en souffrira encore plus. Une fois de plus, l’offre est la question cruciale, et les efforts visant à manipuler la demande finissent par toucher l’offre.

S’incliner devant le marché libre

Une deuxième possibilité est que l’UE passe à des politiques de stimulation de l’offre, augmentant le PIB et atténuant les tensions inflationnistes. Une politique de l’offre implique de créer un environnement qui facilite la vie des entrepreneurs : un système judiciaire et des bureaucraties efficaces, une réglementation légère et une fiscalité faible.

Il s’agit peut-être d’une chimère. Une politique européenne de stimulation de l’offre signifierait aussi probablement davantage de transferts de Bruxelles et de Francfort vers les législateurs nationaux. Un mécanisme élargi de redressement et de résilience, ou NRRP, destiné à atténuer l’impact économique et social du coronavirus pourrait être un bon exemple ici. Les autorités de la zone euro prétendent que le NRRT est une mesure d’offre visant à améliorer l’efficacité et la productivité, mais il s’agit en fait d’une politique de demande qui donne aux dirigeants politiques plus d’argent à dépenser. Si tel était le cas, le résultat serait l’inflation (plus d’impression monétaire pour financer le nouveau programme) et un transfert continu de ressources du secteur privé (productif) vers le secteur public (inefficace).

Davantage de répression fiscale

Enfin, il ne faut pas oublier que la tentation d’augmenter la pression fiscale est difficile à supprimer. Des impôts plus élevés peuvent être présentés comme un effort pour lutter contre l’évasion fiscale et le transfert de bénéfices ou pour instaurer un système fiscal équitable. En effet, des impôts plus élevés peuvent tuer une partie du pouvoir d’achat illusoire et étouffer l’élan de l’inflation des prix. Pourtant, on peut se demander s’il s’agit du meilleur moyen de drainer les liquidités et d’un substitut raisonnable à une politique monétaire saine.

En effet, et conformément à nos remarques précédentes, on soupçonne que les appels à une pression fiscale plus forte et à une réglementation plus stricte de toutes sortes ne sont que des moyens de transférer des ressources au secteur public au détriment des entreprises privées. Si tel est le cas, l’avenir de l’Europe est sombre.

 

Author: Enrico Colombatto – Professor of economics

Source:

Policymakers are mishandling the eurozone’s inflation