Comment les petites entreprises suisses continuent d’innover
L’avantage de la Suisse en matière d’innovation découle en grande partie de la formation professionnelle et des activités des employés sur le lieu de travail, et non des universités ou des départements de R&D.
En bref
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- Un nombre supérieur à la moyenne de petites entreprises suisses sont des innovateurs supérieurs à la moyenne.
- Leurs innovations internes sont le plus souvent évolutives, et non révolutionnaires.
- Le système de formation professionnelle est l’un des principaux atouts de la Suisse.
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Avec ses neuf employés, Fahnen-Center Weinfelden GmbH (le centre de drapeaux de Weinfelder) est une micro-entreprise. Le patron-propriétaire travaille côte à côte avec des programmeurs, des monteurs et des apprentis. Derrière ce nom se cache une entreprise de publicité d’avant-garde. Elle vend principalement de la publicité LED (affichage numérique) : matériel, programmation et mise en œuvre de campagnes.
À bien des égards, Fahnen-Center est une petite entreprise suisse typique. Au départ, elle produisait des drapeaux et s’est lancée dans la vente de matériel publicitaire. Aujourd’hui, l’entreprise réalise plus de 6 millions de francs suisses (5,94 millions d’euros) de ventes de publicité LED. Ce qui est intéressant, c’est qu’environ la moitié de la valeur de ses achats et plus d’un tiers de ses ventes sont réalisés à l’étranger.
Les PME dominent la Suisse
Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique montrent que le Flag Center n’est pas seul. Plus de 99 % des entreprises suisses comptent moins de 250 employés. Ce sont donc des petites et moyennes entreprises (PME). Ces entreprises représentent environ 67 % de tous les emplois et plus de 70 % des places d’apprentissage. Jusqu’ici, tout va bien ; d’autres économies présentent des chiffres similaires.
Le fait surprenant est que les PME suisses représentent environ 60 % de la valeur ajoutée du pays, ce qui est comparativement élevé. Et elles assurent la moitié du commerce extérieur du pays, soit environ 60 % des importations et 45 % des exportations. Aucun autre pays ne présente un tel niveau de participation des PME au commerce extérieur.
Dans la plupart des cas, l’innovation est évolutive, et non révolutionnaire.
Sur le plan statistique, il existe une catégorie d’entreprises « à forte croissance », définies comme des entreprises à économie de marché comptant au moins 10 salariés au début de la période d’observation et dont la croissance annuelle moyenne de l’emploi sur trois ans est supérieure à 10 %. Là encore, les PME sont en tête de liste. Environ 11 % des petites entreprises ont une croissance élevée ; ce chiffre n’est que de 5 % pour les grandes entreprises.
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Les PME portent l’innovation
Qu’est-ce qui explique ce dynamisme inhabituel des PME suisses ? En termes de politique de réglementation, divers éléments permettent de l’expliquer : impôts peu élevés, cadre administratif efficace, réglementation comparativement faible, politique en tant que fonction secondaire, et bien d’autres encore. Mais un autre facteur est beaucoup plus convaincant : un nombre supérieur à la moyenne de PME suisses se trouve être des innovateurs supérieurs à la moyenne.
Souvent, la perception de l’innovation est réduite à des questions telles que la technologie, la recherche et le développement (R&D) et les brevets. À l’inverse, certains peuvent supposer que les PME qui n’utilisent pas de haute technologie, ne déposent pas de brevets et n’ont pas de dépenses de R&D ne peuvent pas être innovantes. Cette hypothèse est fausse.
Il est tout aussi faux de prétendre que les innovations doivent être perturbatrices. Perturber signifie briser le modèle commercial ou le marché existant. La plupart des innovateurs ne modifient que leur propre modèle d’entreprise – et donc une partie seulement des processus du marché. Dans la plupart des cas, l’innovation est évolutive, et non révolutionnaire.
L’innovation est ouverte en termes de contenu et de résultats, et peut toucher les aspects les plus divers de l’activité entrepreneuriale. En outre, elle n’a pas de source prédéterminée. Des études suggèrent qu’environ un tiers de l’innovation dans les PME suisses provient directement des employés. Cette innovation intervient au cours de l’exécution des tâches quotidiennes, et non dans les laboratoires et les départements de R&D. Dans les PME, les innovations sont réalisées sur le lieu de travail et sur le marché. Elles sont d’ailleurs rarement enregistrées ou brevetées car les procédures correspondantes sont bureaucratiques et compliquées. Mais le fait que les améliorations ne soient pas formellement reconnues n’en fait pas des non-innovations. Ces innovations sont le moteur de la croissance des PME.
Formation professionnelle et innovation
Les mêmes études montrent que l’innovation dans les PME est liée de plusieurs manières à la formation professionnelle. Selon le Secrétariat d’État à la formation, à la recherche et à l’innovation, environ deux tiers des jeunes en Suisse effectuent un apprentissage. Ils ont le choix entre environ 230 professions. Ils apprennent simultanément dans une entreprise et à l’école professionnelle pendant deux à quatre ans, recevant ainsi des bases solides dans leur métier. Après l’apprentissage, beaucoup poursuivent une formation professionnelle supérieure. Ils acquièrent des qualifications spécifiques et se préparent à des fonctions de direction et de spécialiste. Il existe environ 410 examens professionnels et professionnels supérieurs pour certifier les compétences acquises et 52 cours dans les écoles techniques supérieures.
Les entreprises qui ont initialement enregistré une perte nette dans le processus de formation ont ensuite récupéré le coût de l’investissement.
De 2000 à 2009, les économistes de l’éducation Mirjam Strupler et Stefan Wolter ont mené des enquêtes sur les coûts et les avantages de la formation professionnelle en Suisse. Leur conclusion : Il vaut la peine de former des apprentis. En comparant 2 500 entreprises qui formaient des apprentis avec environ 10 000 entreprises qui ne le faisaient pas, ils ont constaté que deux tiers des entreprises tiraient un bénéfice net direct de la formation des apprentis.
Et même dans le dernier tiers, les entreprises qui avaient initialement enregistré une perte nette dans le processus de formation ont ensuite récupéré le coût de l’investissement. Elles ont bénéficié de l’emploi de l’apprenti, évitant ainsi un recrutement coûteux sur le marché du travail, et ont généré un savoir-faire spécifique en matière de promotion des jeunes talents pour leur propre entreprise.
Selon les études de l’économiste Rico Baldegger, environ un tiers des innovations des entreprises proviennent des employés dans le cadre de leur travail. C’est-à-dire, explicitement, non pas des départements de R&D mais des personnes directement impliquées dans la fabrication de produits ou la prestation de services.
La raison en est, selon l’étude, le haut niveau de compétence des employés ayant suivi une formation professionnelle. Ils sont habitués à relever les défis avec souplesse, à intégrer de nouvelles informations dans le processus de travail et à penser de manière indépendante. Ce pragmatisme leur donne les outils nécessaires pour mettre en œuvre de nouvelles choses sur le lieu de travail et sur le marché.
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La formation professionnelle garantit l’esprit d’entreprise
Environ un tiers des personnes ayant suivi une formation professionnelle poursuivent leurs études. La formation professionnelle continue offre un large éventail d’options – chercher à obtenir des diplômes de maître artisan ou entrer dans les départements de sciences appliquées des écoles techniques supérieures et des universités. Par ailleurs, la formation professionnelle primaire et continue est l’une des formes les plus solides de coopération entre entreprises. Ce sont les entreprises qui déterminent dans leurs associations ce qui doit être enseigné. Selon le secteur, l’État ne joue aucun rôle ou seulement un rôle subsidiaire. En Suisse, la règle est que l’école suit la profession.
Mais la formation professionnelle garantit aussi la concurrence en permettant aux jeunes de maintenir des normes professionnelles, de s’imposer sur le marché du travail et de continuer à développer leurs produits et services ainsi que leurs propres compétences. La formation professionnelle est donc le moteur de la diversité et conduit à la différenciation, à l’innovation et à la concurrence. En Suisse, elle est synonyme d’apprentissage tout au long de la vie. Elle est aussi de facto une formation à l’entrepreneuriat.
La formation professionnelle ne se contente pas de fournir la prochaine génération de professionnels et de garantir l’employabilité, elle conduit également à la perméabilité des activités dépendantes et indépendantes. Après des années d’emploi, de nombreux professionnels décident de devenir eux-mêmes entrepreneurs. Cela peut se faire en créant leur propre entreprise ou en reprenant les entreprises qui leur ont offert la formation initiale. L’économiste Silvio Borner a estimé qu’environ 15 % de tous les professionnels deviennent des entrepreneurs indépendants au cours de leur carrière respective.
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Scénarios
Le système suisse fonctionne bien, voire très bien selon les normes internationales. Mais il y a des défis possibles. Ceux-ci peuvent être présentés sous la forme de trois scénarios.
Changement d’attitude de la société
La jeune génération pourrait se tourner vers les études universitaires. Comme ce type d’enseignement a tendance à être beaucoup moins entrepreneurial et ne génère pas de compétences sur le marché du travail, cette tendance viendrait grossir les rangs des salariés et des chômeurs. Pour aggraver les choses, les carrières universitaires axées sur les institutions et la sécurité de l’emploi créent des incitations négatives à l’esprit d’entreprise et réduisent ainsi la diversité de l’innovation. Cela mettrait en péril l’ensemble du système suisse. Le risque que ce scénario se réalise peut être estimé à 33 %.
Reprise par l’État
Un renforcement du paternalisme de l’Etat, qui conduirait à une rigidification des contenus de la formation professionnelle, aurait des conséquences moins importantes, mais néanmoins problématiques. Le système est mis en péril si certains développements économiques ne sont pas repris, comme la gestion des processus, la numérisation, les nouvelles technologies de travail et de fabrication ou la gestion de la productivité. Cela peut rapidement arriver lorsque l’État commence à s’immiscer dans le système. Après tout, la bureaucratie étatique n’est pas seulement éloignée du marché, mais elle croit aussi à la scolarisation générale. Pire encore, l’État pourrait transformer l’enseignement professionnel en folklore – une conséquence désastreuse pour la place économique suisse. Là encore, la probabilité estimée d’un tel scénario est de 33 %.
Une concentration diluée
Dans un scénario meilleur mais loin d’être idéal, la formation professionnelle l’emporte toujours sur l’enseignement purement académique. Les professionnels restent habilités à agir de manière indépendante et à faire preuve d’esprit d’entreprise. Toutefois, la tendance à une ingérence accrue de l’État et à une préférence pour l’enseignement général se poursuivra. Dans certains cas, les associations professionnelles, attirées par des subventions et des réglementations favorables, peuvent être tentées de s’engager dans des coopérations accrues avec l’État. Le prix d’un tel changement, apparemment marginal, pourrait s’avérer élevé. La Suisse perdrait progressivement sa flexibilité économique et son potentiel d’innovation, et deviendrait un suiveur au lieu d’un précurseur. Là aussi, la probabilité est de 33 %.
Optimisme malgré tout
Les employés du Flag Center de Weinfelden observent les tendances, mais ils restent fidèles à leurs habitudes. À part les deux apprentis, personne dans l’entreprise n’est issu de l’industrie. Ni le propriétaire ni les employés chargés du montage et de la programmation n’ont étudié le codage ou la mise en place du matériel LED. Ils ont acquis ces compétences sur le tas et sur le marché. Pour eux, ce processus était une innovation. Le changement de stratégie commerciale, qui est passé des drapeaux en tissu aux technologies de l’information, était une innovation pour l’entreprise elle-même.
Ils y sont tous parvenus parce qu’ils ont fait preuve de souplesse. La formation professionnelle et la formation continue ont conditionné les membres de l’équipe à considérer les changements dans le travail, et la stratégie de l’entreprise, comme des actions entrepreneuriales. Celles-ci réussissent si l’on ose faire quelque chose de nouveau – briser les institutions en faisant fi de la sécurité. Si les gens ne se bercent pas d’une fausse sécurité, tout fonctionnera, dit le propriétaire.
Author: Henrique Schneider professor of economics.
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