Géopolitique vaticane

L’influence mondiale de l’Église diminuera à moins qu’une nouvelle vague catholique ne vienne inverser les tendances actuelles.

En bref

                      • La position du Vatican sur la guerre pèse sur les relations avec la Russie
                      • L’Église catholique est soumise à une pression croissante de la part de Pékin
                      • L’UE est le fer de lance de la sécularisation
Francesco I - Jorge Mario Bergoglio Image by Mikdev from Pixabay
Francesco I – Jorge Mario Bergoglio Image by Mikdev from Pixabay

La question du positionnement géopolitique du Vatican a récemment suscité un regain d’intérêt auprès du grand public. La fin de l’ordre mondial unipolaire et la perte d’influence de l’Église en Europe et en Amérique du Nord placent le Vatican devant des défis considérables.

Le pape François se distingue nettement de ses prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI sur le plan politique. Depuis la mort de Benoît XVI, qui a servi de médiateur pendant dix ans en tant que « pape émérite » entre son successeur et ses détracteurs, les conflits internes à l’Église se sont intensifiés. En Allemagne, les divergences entre progressistes et conservateurs sont devenues si aiguës qu’un schisme n’est plus à exclure. Naturellement, l’intérêt se porte aujourd’hui sur la guerre en Ukraine. Depuis l’invasion russe, les appels à la paix n’ont pas manqué.

Le pape François et l’invasion de l’Ukraine

Le 24 février 2022, le pape François a appelé à la cessation immédiate des hostilités. Depuis, il a réitéré cet appel des dizaines de fois, exprimant sa sympathie pour ceux qui souffrent de la guerre. Cependant, le pape doute qu’il soit juste de livrer des armes à l’Ukraine et a déclaré que les États-Unis et l’OTAN sont en partie responsables du conflit : « Ils aboient aux portes de la Russie. Ils ne comprennent pas que les Russes sont des impérialistes et qu’ils ne permettront à aucune puissance étrangère de s’approcher d’eux », a-t-il déclaré quelques mois avant l’invasion.

Le souverain pontife a précisé qu’il n’était pas du côté du président Vladimir Poutine, mais qu’il était « simplement contre le fait de réduire la complexité à la distinction entre les bons et les méchants sans raisonner sur les racines et les intérêts, qui sont très complexes. En fin de compte, il s’agit de l’intérêt de tester et de vendre des armes. C’est très triste, mais en fin de compte, c’est ce qui est en jeu ». Ce jugement exprime clairement la méfiance fondamentale du pape latino-américain à l’égard des États-Unis.

Jusqu’à présent, le pape François a refusé de se rendre à Kiev, à moins qu’il ne puisse également se rendre à Moscou. Le président Poutine a jusqu’à présent laissé cette demande sans réponse. La guerre en Ukraine a non seulement mis à rude épreuve les relations diplomatiques entre le Vatican et la Fédération de Russie, mais elle a également mis fin au dialogue avec le Patriarcat de Moscou dans un avenir prévisible. Selon les religieux orthodoxes russes, Moscou est la « troisième Rome » et a le devoir divin de défendre son empire contre le mal de l’Occident. Même dans le domaine religieux, les relations Est-Ouest sont au plus bas depuis la fin de la guerre froide.

Mikhail Gorbatchev et une partie de l’histoire s’en va

L’Église catholique et les régimes autoritaires

Le deuxième défi majeur pour le Vatican est la Chine, où l’Église catholique est soumise à une pression croissante depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping. Le pape François tente d’apaiser leur situation en faisant des concessions au régime. En 2018, le Vatican a signé un accord avec la Chine qui a été renouvelé en 2022. Il prévoit la nomination d’évêques catholiques par le gouvernement communiste, à laquelle le pape ne peut qu’opposer son veto. L’un des critiques les plus virulents de cet accord, qui n’a pas été rendu public, est le cardinal Joseph Zen Ze-kiun, 91 ans, originaire de Hong Kong.

Les relations du Vatican avec les révolutionnaires latino-américains sont également controversées. En septembre 2015, le pape François s’est rendu à Cuba, où il a eu avec Fidel Castro une conversation qualifiée d' »intime ». Le pape n’a exprimé que des critiques atténuées à l’égard du président autoritaire du Nicaragua, Daniel Ortega, qui a fermé des stations de télévision et de radio catholiques, expulsé le nonce apostolique et arrêté des prêtres catholiques.

Beaucoup ont également critiqué le récent voyage du pape en Afrique. Lors de sa visite en République démocratique du Congo et au Sud-Soudan en février 2023, il a condamné « des formes terribles d’exploitation, indignes de l’humanité » et a appelé à « Ne touchez pas à l’Afrique ! Arrêtez d’étouffer l’Afrique : ce n’est pas une mine à dépouiller ni un terrain à piller ». Mais il n’a rien dit sur la responsabilité des élites africaines dans la pauvreté et le sous-développement.

Papes et géopolitique

La protection des chrétiens dans les régimes autoritaires est un problème pour les papes depuis la révolution russe et la prise de pouvoir par les nazis. Lorsque le ministre français des affaires étrangères, Pierre Laval, a demandé à Staline, en mai 1935, de cesser de persécuter les catholiques afin d’apaiser le pape, ce dernier aurait répondu : « Le pape ? Combien de divisions commande-t-il ? »

En mars 1937, Pie XI dénonce les totalitarismes rouge et brun dans deux encycliques consécutives : « Mit brennender Sorge » contre le national-socialisme, « Divini redemptoris » sur le communisme soviétique. Son successeur Pie XII est souvent accusé de ne pas s’être prononcé publiquement contre l’Holocauste. Bien qu’aucun historien sérieux ne nie qu’il ait fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger les Juifs de la capture par les nazis, son « silence » est retenu contre lui.

Pie XII a strictement rejeté les compromis avec les communistes. En 1949, il a sanctionné l’adhésion à un parti communiste par l’excommunication. La situation change cependant sous Jean XXIII (1958-1963), qui doit trouver des arrangements pour permettre aux évêques situés derrière le rideau de fer d’assister au concile Vatican II.

 

Giovanni Paolo II - Karol Wojtyla Image by Ryszard Porzynski from Pixabay
John Paul II – Karol Wojtyla Image by Ryszard Porzynski from Pixabay

L’élection de l’archevêque de Cracovie Karol Wojtyla comme pape Jean-Paul II en 1978 a marqué le début d’une nouvelle ère pour la politique orientale du Vatican. Wojtyla se distinguait de ses prédécesseurs non seulement par son expérience personnelle de la dictature communiste et sa connaissance des méthodes de lutte contre l’Église, mais surtout par sa foi inébranlable dans le pouvoir d’une nation motivée par la religion. Sous Jean-Paul II, les régimes communistes se sont heurtés aux « divisions du pape », notamment en Pologne, en Lituanie et en Slovaquie. Les révolutions démocratiques en Europe de l’Est et l’effondrement de l’Union soviétique ont marqué l’apogée, mais aussi le tournant, de l’influence géopolitique de l’Église catholique au XXe siècle.

Jean-Paul II croyait en une nouvelle évangélisation de l’Europe. Mais celle-ci s’est avérée tout aussi infructueuse que son espoir de voir les chrétientés occidentale et orientale coexister harmonieusement. Alors que la santé de Wojtyla se détériore, les signes d’une crise profonde apparaissent dans l’Église catholique. Personne n’était probablement plus conscient de l’ampleur de cette crise que le pape Benoît XVI, que le conclave a élu le 19 avril 2005 pour succéder à Jean-Paul II. Dès 1975, alors qu’il était encore professeur à Ratisbonne, Ratzinger décrivait « le caractère incomparablement nouveau de la situation actuelle, d’un changement dans le monde et dans les hommes qui ne peut être mesuré selon les critères habituels de l’évolution historique ».

Le serment de recrutement de la Garde suisse pontificale

La Suisse et le Saint-Siège: un siècle de relations diplomatiques

Accélération de la sécularisation

Les premières tendances à la sécularisation sont apparues dans les sociétés d’Europe occidentale peu après la Seconde Guerre mondiale. L’aggiornamento (renouveau) du concile Vatican II de Jean XXIII était censé transmettre le message de foi catholique d’une manière contemporaine. Au lieu de cela, il a aplati les croyances, encouragé la sécularisation de l’Église et creusé le fossé entre modernistes et traditionalistes. Alors que l’Église gagnait en influence dans l’Est communiste, elle subissait une pression croissante à l’Ouest, notamment sous l’impact de la révolution culturelle marxiste dans les universités et les médias.

Les partis politiques démocrates-chrétiens ont réagi à cette évolution en jetant leurs programmes chrétiens par-dessus bord. Des dizaines de politiciens démocrates-chrétiens ont voté aux côtés des sociaux-démocrates et des libéraux en faveur du droit à l’avortement et du mariage homosexuel. Au cours des dernières années du pontificat de Jean-Paul II et surtout de celui de Benoît XVI, la « sécularisation rampante » a commencé à se répandre comme une traînée de poudre. Dans des pays traditionnellement catholiques comme l’Irlande, l’Espagne, l’Italie et même la Pologne, les jeunes se détournent de l’Église. Alors qu’en 1990, 50,3 % des catholiques assistaient encore à la messe du dimanche en Pologne, ils n’étaient plus que 36,9 % en 2019. Dans tous ces pays, l’abandon de l’Église va de pair avec la baisse des taux de natalité.

Une enquête menée en 2018 par le Pew Research Center dans 34 pays européens a révélé une baisse de la proportion de catholiques dans la population. Ronald Inglehart, fondateur du World Values Survey, est parvenu à une conclusion similaire dans une comparaison internationale : « Entre 2007 et 2020, une écrasante majorité (43 sur 49) de ces pays sont devenus moins religieux. Ce déclin des croyances est le plus marqué dans les pays à revenu élevé, mais il est évident dans la plupart des pays du monde.

L’Union européenne encourage la sécularisation des sociétés européennes. En 2004, le Parlement européen a rejeté le philosophe catholique romain Rocco Buttiglione, qui avait été nommé commissaire à la justice, parce qu’il professait une morale sexuelle catholique. L’inclusion d’une référence à Dieu dans une constitution européenne a fait l’objet d’un veto de la part de la France en 2003. Le traité de Lisbonne (2007) mentionne « l’héritage culturel, religieux et humaniste de l’Europe », mais pas le christianisme en tant que force formatrice de l’histoire européenne.

Globalement, le catholicisme se concentre de plus en plus sur l’Afrique, à la fois en termes de nombre de baptisés et de proportion de croyants pratiquants parmi eux. Mais si le nombre de catholiques en Afrique australe augmente en raison de la croissance rapide de la population, il est en retard par rapport à la croissance des autres confessions chrétiennes

Città del Vaticano
Città del Vaticano

Scénarios

La sécularisation continue

La sécularisation prive le christianisme de son importance en tant qu’élément central de l’identité et de la cohésion sociale, et en tant que barrière à l’expansion de l’islam dans les pays d’immigration. Usée par des querelles stériles, l’Église catholique se transforme en une ONG humaniste financée par l’État.

Le cardinal Gerhard Muller, ancien préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, déclare que l’attitude de l’Église lui rappelle les théologiens qui se disputaient la couleur des yeux de la Vierge pendant le siège de Constantinople.

Réaction religieuse

En Europe et aux États-Unis, la révolution culturelle menée par les élites rencontre une résistance croissante, ce qui renforce la position des partis conservateurs. Une contre-révolution antiréveil s’ensuit, l’Église catholique retrouvant le rôle qu’elle jouait sous Jean-Paul II à l’époque du communisme. Une nouvelle vague d’orthodoxie fait reculer l’influence des théologiens modernistes. Le conclave suivant produit un pape africain conservateur qui renverse la tendance.

Author: Karl-Peter Schwarz – Austrian journalist and columnist

Source:

Vatican geopolitics